RECIT. Astronautes bloqués dans l'ISS : on vous raconte l'odyssée dans l'espace de Suni Williams et Butch Wilmore, partis pour huit jours et restés neuf mois

Ces deux pilotes d’essai chevronnés s’étaient envolés en juin pour un test du vaisseau Starliner de Boeing, qui a tourné au fiasco. Avant leur retour dans un appareil de SpaceX, l’entreprise d’Elon Musk, leur sort est même devenu un sujet politique.

La fin d’une (très) longue attente. Après un voyage en orbite prolongé de façon inattendue, les astronautes américains Sunita Williams et Barry Wilmore (plus connus sous leurs diminutifs Suni et Butch) ont quitté la Station spatiale internationale (ISS) tôt mardi 18 mars, selon des images diffusées en direct par la Nasa. La capsule Crew Dragon de l’entreprise Space X s’est détachée de l’ISS à 5h05 GMT (6h05 heure de Paris). Butch Wilmore et Suni Williams ont embarqué aux côtés de leur compatriote Nick Hague et du Russe Alexandre Gorbounov, dont le retour était planifié. Tous doivent, doivent amerrir au large de la Floride mardi soir vers 23 heures (heure de Paris), selon l’agence spatiale américaine.

Le duo de pilotes aguerris était arrivé à bord de l’ISS le 6 juin 2024 dans le cadre du vol test d’un autre vaisseau, le Starliner de Boeing. Leur escale devait durer huit jours. Neuf mois plus tard, ils vont enfin retrouver leurs proches et leur planète.

Cette période, marquée par une succession de problèmes techniques et de reports, aura fait entrer ces deux anciens de la marine américaine parmi les astronautes les plus expérimentés en activité. Au moment du départ, Suni Williams cumulait déjà 322 jours dans l’espace, et Butch Wilmore, 178. Mais leur troisième séjour, de près de 300 jours, aura mis à rude épreuve leurs nerfs et ceux de leurs proches. Le moment « le plus heureux » de cette mission sera quand Butch Wilmore « aura atterri en toute sécurité », confie à franceinfo son épouse Deanna, peu avant son retour.

Sa hantise est compréhensible, car le périple des deux Américains a d’emblée été tumultueux. Retour au 5 juin, veille de leur départ : la Nasa maintient le décollage du Starliner malgré la présence d’une fuite d’hélium sur l’un des propulseurs. L’agence spatiale américaine la juge « petite » et sans danger. Mais une fois le vaisseau dans l’espace, deux nouvelles fuites apparaissent. L’amarrage à l’ISS survient avec plus d’une heure de retard, avant la découverte d’une quatrième fuite d’hélium. Malgré ces déboires, l’ambiance est festive pour célébrer la réussite du premier trajet habité de l’engin.

Mais les problèmes techniques assombrissent rapidement le tableau. Le retour, initialement prévu un peu plus d’une semaine plus tard, est reporté d’une dizaine de jours. Mais fin juin, face à la persistance des défaillances, la Nasa cesse de communiquer un calendrier. « Nous prenons notre temps et suivons le processus standard de notre équipe qui gère la mission », justifie Steve Stich, un haut responsable de l’agence. Selon lui, le départ des deux passagers du Starliner n’est pas si urgent, car « le programme de la station est relativement ouvert jusqu’à la mi-août » et l’ISS est bien approvisionnée. Entre les rotations de ses occupants, elle est ravitaillée grâce à des cargos qui apportent matériels, vivres et vêtements.

Ce moment de flottement permet à Suni Williams et Butch Wilmore d’apporter une aide inattendue aux autres occupants dans cette grande colocation internationale en orbite à 400 km de la terre. Les images communiquées par la Nasa montrent le duo prenant la Terre en photo, entretenant des combinaisons spatiales ou encore effectuant des travaux de plomberie dans les toilettes de la station.

Les astronautes américains Suni Williams and Butch Wilmore préparent du matériel de plomberie qu'ils s'apprêtent à installer dans la Station spatiale internationale, le 27 juin 2024. (NASA)

Les astronautes américains Suni Williams and Butch Wilmore préparent du matériel de plomberie qu’ils s’apprêtent à installer dans la Station spatiale internationale, le 27 juin 2024. (NASA)

« Cela fait du bien de flotter, d’être dans l’espace et de travailler avec l’équipe de l’ISS. C’est génial d’être là ! », positive Suni Williams lors d’une conférence de presse le 10 juillet, un mois après son arrivée. Butch Wilmore, lui, relativise les contretemps : « Tous les vaisseaux spatiaux ont connu de multiples problèmes. C’est la nature même de notre travail ».

Mais vu depuis la Terre, les deux Américains ressemblent de plus en plus à des naufragés en orbite, au grand dam de la Nasa. « Butch et Suni ne sont pas bloqués dans l’espace », rétorque Steve Stich lors d’une conférence de presse tendue. Ils ne sont « pas coincés dans l’ISS, l’équipage n’est pas en danger », insiste Mark Nappi, un responsable de Boeing, le constructeur du Starliner, qui peine à trouver une solution permettant le retour des deux passagers du vaisseau.

Ce revers pour l’entreprise américaine tourne à la débâcle, début août, quand la Nasa évoque pour la première fois l’hypothèse de recourir au vaisseau de la société SpaceX, propriété d’Elon Musk, pour rapatrier Butch Wilmore et Suni Williams. Grande rivale de Boeing pour le développement de vaisseaux spatiaux, elle a pris une nette avance et assure déjà des allers-retours vers l’ISS depuis 2020. Le couperet tombe le 24 août, avec une annonce fracassante du numéro un de la Nasa, Bill Nelson :

« La Nasa a décidé que Butch et Suni reviendraient avec l’équipage Crew-9 en février prochain, et que Starliner reviendrait sans équipage. »

Bill Nelson, patron de la Nasa

lors d’une conférence de presse

Cette décision lève le brouillard pour les deux Américains, mais les projette dans une nouvelle réalité : ils doivent désormais se faire à l’idée de rester encore six longs mois à bord de l’ISS, le temps qu’arrive un vaisseau de SpaceX ne transportant que deux astronautes pour quatre place, fin septembre, puis que ces derniers achèvent leurs tâches à bord. « C’est une mission courte qui devient une mission longue », résume auprès de franceinfo Alessandro Alcibiade, médecin de vol à l’Agence spatiale européenne. Il relève que même les séjours longs à bord de l’ISS ne durent en général que six mois, comme cela a été le cas pour les deux missions du Français Thomas Pesquet ou pour celle, à venir, de sa compatriote Sophie Adenot en 2026.

« Ces astronautes expérimentés ont été sélectionnés spécifiquement pour une mission particulière, un vol test, qui peut comporter beaucoup d’imprévus », souligne Alessandro Alcibiade. Issus du monde militaire, Suni Williams et Butch Wilmore sont habitués à composer avec des missions prolongées. L’astronaute américain Frank Rubio, qui a passé 371 jours à bord de l’ISS entre 2022 et 2023 au lieu des six mois prévus à l’origine, affirmait à son retour que son parcours dans l’armée l’avait aidé à relativiser cette épreuve. Et avait admis, chose rare dans ce milieu, s’être « octroyé une journée pour être triste » après avoir appris la prolongation de son séjour.

Butch Wilmore, lui, fend l’armure en septembre, après le retour sur Terre (et sans incident) du vaisseau Starliner vide. Il concède que les mois d’incertitude sur son sort ont été « difficiles ». Mais l’astronaute de 62 ans peut compter sur le soutien de sa famille, avec qui il reste en contact étroit.

« Il nous appelle tous les jours. Il nous envoie un lien sur notre téléphone pour que l’on puisse le voir et qu’il puisse nous voir. »

Deanna Wilmore, épouse de Butch Wilmore

à franceinfo

Deanna Wilmore raconte que leur famille, très pieuse, fait face à la situation en priant et s’en remettant à Dieu. De son côté, Suni Williams, 59 ans, reconnaît que ses proches et ses animaux de compagnie lui manquent et évoque sa tristesse de ne pas avoir pu assister à certains événements familiaux. Elle assure toutefois que l’ISS est l’endroit où elle est « heureuse« .

L'astronaute américain Butch Wilmore en train de vérifier des combinaisons spatiales à bord de la Station spatiale internationale, le 11 juillet 2024. (NASA)

L’astronaute américain Butch Wilmore en train de vérifier des combinaisons spatiales à bord de la Station spatiale internationale, le 11 juillet 2024. (NASA)

Il est inhabituel pour des astronautes de faire part publiquement de moments de faiblesse, encore plus en pleine mission. Mais les coups de blues ne sont pas rares. Le protocole pour les accompagner comporte d’ailleurs, toutes les deux semaines, un rendez-vous médical et un autre portant davantage sur la psychologie, explique Alessandro Alcibiade, lui-même psychiatre de formation. « Cela n’a rien de très formel. Cela ressemble à une simple discussion où l’on prend des nouvelles, où l’on demande comment ça va », ajoute-t-il, précisant que les astronautes peuvent solliciter ce type d’entretien à tout moment. Ce suivi se complète avec les nombreux échanges, au quotidien, avec les équipes au sol.

Une fois leur sort scellé, les deux astronautes ont formellement intégré l’expédition 72 de l’ISS et se sont vus confier les mêmes tâches et responsabilités que leurs camarades venus pour des missions longues, explique la Nasa auprès de franceinfo. L’agence spatiale américaine souligne que Suni Williams a revêtu la casquette de commandante de l’ISS, pour la deuxième fois de sa carrière. En janvier, en réalisant la huitième puis la neuvième sortie spatiale de sa carrière, elle est aussi devenue la femme ayant passé le plus de temps à l’extérieur de la station (62 heures et 6 minutes).

Entre temps, elle et son collègue ont passé des semaines bien remplies : expérience sur le vieillissement dans l’espace, culture de laitue en apesanteur, tests de robotique et prises de parole pour des universités ponctuent leur quotidien millimétré à bord de la station.

Contraints de passer Thanksgiving puis Noël en orbite, Suni Williams et Butch Wilmore se plient au rituel des messages de la Nasa pour les fêtes, arborant un sourire un brin forcé, malgré l’éloignement de leurs familles. En janvier, des plaisanteries et des rires ponctuent un entretien vidéo avec le patron de la Nasa, lorsque Butch Wilmore répond aux insistantes interrogations sur la quantité de nourriture à bord et affirme qu’il n’avait jamais vu personne engloutir autant que son compatriote Donald Pettit.

A des kilomètres de là, la Terre continue de tourner, et leur pays, les Etats-Unis, est entré dans une nouvelle ère avec la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle. Son retour à la Maison Blanche crée des remous jusque dans l’espace. Le président des Etats-Unis a comme nouveau bras droit Elon Musk, le patron de SpaceX, et les deux hommes se sont saisis du sort des astronautes bloqués dans l’ISS, accusant l’administration de Joe Biden de les avoir « abandonnés » pour des « raisons politiques ». Le plan permettant leur retour sur Terre dans un vaisseau de SpaceX avait pourtant été approuvé avant l’élection, mais Elon Musk assure qu’il aurait pu les ramener plus tôt, et qu’il avait proposé de le faire.

Le 4 mars, lors d’une conférence de presse de « pré-départ », les deux astronautes sont bombardés de questions sur les déclarations du milliardaire. « Je le crois », répond Butch Wilmore, mais « nous n’avons aucune information, d’aucune manière, sur ce qui a été proposé ou non ». « De mon point de vue, la politique n’a pas du tout joué de rôle là-dedans », balaye-t-il. « Enfin, nous allons rentrer », élude de son côté Suni Williams. « Cela a été des montagnes russes pour nos proches, probablement un peu plus que pour nous, qui avons une mission », estime-t-elle.

Même une fois sur Terre, les astronautes ne pourront pas immédiatement retrouver leur domicile, contraints de se prêter à une série de tests et d’analyses pendant plusieurs jours au centre spatial de Houston (Texas). Du côté de leurs proches, l’impatience est palpable. Deanna Wilmore glisse à franceinfo sa hâte de retrouver son mari : « Nous n’avons pas prévu d’événements [à son retour]. Nous resterons simplement ensemble en famille autant que possible. »



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