À 200 000 années-lumière de la Terre, dans les cieux de l’hémisphère sud, se trouve une petite galaxie satellite appelée Petit Nuage de Magellan (ou SMC pour Small Magellanic Cloud). Elle orbite aux côtés du Grand Nuage de Magellan (LMC), une autre galaxie naine bien plus massive. Ces deux objets cosmiques gravitent autour de notre propre galaxie, la Voie lactée, formant ensemble un trio galactique fascinant.
Mais ce qui n’était jusqu’à présent qu’un équilibre fragile se révèle aujourd’hui bien plus dramatique : selon une étude publiée dans The Astrophysical Journal Supplement Series, le SMC est en train d’être lentement arraché par les forces gravitationnelles du LMC, son voisin plus imposant. Un processus lent et invisible à l’œil nu, mais parfaitement détectable grâce aux instruments les plus puissants.
Une galaxie en lambeaux
Les données à l’origine de cette découverte proviennent de Gaia, la sonde spatiale de l’Agence spatiale européenne, qui a cartographié avec une précision inédite les positions et mouvements de près de 2 milliards d’étoiles dans notre coin d’univers. En se concentrant sur le SMC, les chercheurs ont analysé les trajectoires de 7 000 étoiles individuelles, révélant une dynamique étrange : les étoiles de la galaxie semblent se disperser, tirées dans des directions opposées.
Certaines se rapprochent du Grand Nuage de Magellan. D’autres s’en éloignent. Et surtout, elles ne tournent plus autour de leur propre galaxie comme le font normalement les étoiles d’une galaxie stable. Le mouvement global trahit une désintégration : le Petit Nuage de Magellan est littéralement en train de se faire arracher ses étoiles.
« Lorsque nous avons obtenu ce résultat, nous avons d’abord pensé à une erreur dans notre méthode », explique Kengo Tachihara, co-auteur de l’étude et chercheur à l’Université de Nagoya, au Japon. « Mais après vérification, les résultats étaient indiscutables… et très surprenants. »
Victime de son voisin
Le Grand Nuage de Magellan est environ dix fois plus massif que le Petit. Les deux se croisent environ tous les 900 millions d’années, dans une lente danse gravitationnelle. Cette masse supérieure, combinée à leur proximité, suffit à provoquer une distorsion gravitationnelle suffisante pour perturber l’équilibre du SMC, en tirant ses étoiles vers lui au fil du temps.
Le phénomène n’est pas rare dans l’univers : les galaxies interagissent et se déchirent régulièrement. Mais dans ce cas, le fait que ces deux galaxies soient aussi proches de nous rend cette observation unique. C’est l’une des rares fois où les astronomes peuvent observer en détail ce type d’interaction à grande échelle.

Une fenêtre sur l’univers primitif
Mais cette désintégration n’est pas seulement spectaculaire — elle est aussi scientifiquement précieuse. Le SMC est une galaxie pauvre en métaux (dans le langage des astronomes, cela signifie qu’elle contient peu d’éléments lourds produits par les générations précédentes d’étoiles), ce qui lui donne une composition similaire à celle des premières galaxies de l’univers. L’étudier, c’est donc remonter dans le temps cosmique.
Comprendre comment les étoiles s’y déplacent, s’y forment et interagissent avec l’environnement permet de mieux modéliser les débuts de l’univers. Et grâce à Gaia, les chercheurs disposent d’un outil d’observation capable de scruter ces détails invisibles autrement.
Une fin inéluctable
Le destin du Petit Nuage de Magellan semble scellé. Arraché progressivement par le LMC, il finira sans doute absorbé, ses étoiles dispersées dans la galaxie voisine — ou peut-être même dans la Voie lactée, lors d’une future fusion. Un sort commun dans l’univers, mais rarement observable en direct.
« On ne peut pas voir notre propre galaxie de l’extérieur », rappelle Tachihara. « Mais en étudiant ces deux galaxies proches, on peut comprendre comment la nôtre a évolué… et comment elle évoluera. »