
La dynamique de l’exploration spatiale internationale est sévèrement contrainte par des facteurs politiques, et l’administration Trump aux États-Unis a particulièrement plongé la Nasa dans une incertitude quant à l’avenir de ses programmes d’exploration, surtout concernant le retour sur la Lune avec le programme Artemis. Alors que l’on reste dans le flou quant à savoir si la Nasa sera contrainte de réévaluer ses priorités ou ses objectifs, ce climatclimat d’imprévisibilité n’est pas sans conséquences.
Il affecte directement les relations avec des partenaires internationaux, tels que l’Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne (ESA), qui peut s’interroger quant à la viabilité des accords de coopération existants. Cette situation pourrait entraîner des modifications ou même des annulations de programmes dans lesquels l’ESA est impliquée, mettant en péril des initiatives critiques pour l’exploration spatiale conjointe.
Incertitudes et répercussions sur la coopération internationale
Ce contexte d’instabilité impacte non seulement les missions américaines, mais également la dynamique de collaboration internationale dans le domaine spatial. Didier Schmitt, responsable des projets futurs d’exploration à l’ESA, affirme que « l’ESA reste un partenaire fiable de la Nasa en attendant des décisions à venir. Néanmoins, pour les nouveaux projets à l’étude, l’accent sera mis sur des missions plus autonomes, en orbite terrestre, autour et sur la Lune et Mars, tout en recherchant des coopérations renforcées avec le Japon et le développement de nouvelles coopérations comme avec l’Inde ».
Si la Nasa venait à annuler certaines composantes du programme Artemis ou à revoir ses objectifs d’exploration, il « serait en effet impératif pour l’ESA de réajuster ses plans afin de garantir la continuité de ses projets d’exploration », tient-il à préciser. Cette anticipation proactive est essentielle pour minimiser les perturbations et maintenir l’engagement de l’Europe dans l’exploration spatiale.
Dans ce contexte, il nous a paru intéressant de s’interroger sur la faisabilité de la mise en œuvre d’un programme européen similaire à Artemis et sur la capacité de l’ESA à le développer en collaboration avec d’autres partenaires internationaux ainsi qu’avec des acteurs privés. Un projet aussi ambitieux pourrait avoir des répercussions significatives sur la perception des États-Unis en tant que leader mondial de l’exploration spatiale, tout en inspirant d’autres nations à acquérir une autonomieautonomie dans ce domaine.
Découvrons les forces et les faiblesses de l’ESA et les opportunités qui se présentent à l’Europe dans le domaine de l’exploration spatiale
La création d’un tel programme européen pourrait marquer un tournant dans l’exploration spatiale, offrant à l’Europe une opportunité inédite depuis les programmes Ariane 5Ariane 5/HermèsHermès/ColumbusColumbus pour affirmer son rôle sur la scène internationale. Cela permettrait également de diversifier les collaborations et de renforcer les capacités européennes dans de nombreux domaines. En agissant ainsi, l’Europe préparera le terrain pour l’avenir de l’exploration spatiale, tout en contribuant à un monde dans lequel l’innovation et la durabilité deviennent les pierres angulaires de notre société.
Vers une autonomie spatiale européenne
L’hypothèse de créer un « Artemis européen » repose sur plusieurs facteurs. Bien que les partenariats majeurs avec la Russie soient compliqués pour des raisons géostratégiques, et que les collaborations avec la Chine soient entravées par des réglementations telles que les règles Itar, qui limitent l’utilisation de composants américains, une volonté politique forte pourrait permettre à l’ESA et à la Commission européenne de lancer un programme d’exploration lunaire ambitieux pour l’Europe.
La Commission européenne pourrait jouer un rôle clé en fédérant l’ensemble des États membres de l’Union européenne autour de cet objectif commun, favorisant ainsi la compétitivité et créant des synergiessynergies avec le secteur de la Défense, qui s’apprête à recevoir plusieurs milliards d’euros de contrats. Cela pourrait également raviver l’enthousiasme des Européens pour l’exploration spatiale.
Une autonomie renforcée dans le domaine spatial limiterait la dépendance de l’Europe vis-à-vis des décisions politiques américaines, tout en la positionnant comme un acteur clé face à la montée des programmes spatiaux chinois et russes. Cet engagement vers une « économie et une industrie spatiale renforcées » pourrait dynamiser les secteurs industriels et technologiques de l’Europe, tout en offrant à des millions d’étudiants européens une voie vers des carrières dans des domaines innovants et enthousiasmants.
“L’idée d’un « Artemis européen » peut sembler surprenante, voire ardue à réaliser, mais l’Europe dispose en réalité de nombreux atouts qui faciliteraient la mise en œuvre d’un tel projet.”
En s’appuyant sur une vision audacieuse, des innovations technologiques et une collaboration étroite entre secteurs public et privé, l’Europe a l’opportunité de se positionner comme un acteur clé dans l’avenir de l’exploration spatiale. Cependant, pour réussir, des défis administratifs, politiques et techniques doivent être surmontés, nécessitant un engagement fort des États membres et une stratégie clairement définie. Il est également important de prendre en compte plusieurs enjeux liés à l’harmonisation des politiques entre l’ESA, la Commission européenne et les États membres. Ce processus d’harmonisation pourrait se révéler difficile, surtout dans un contexte où les priorités économiques et géopolitiques évoluent rapidement d’un État à un autre. Des efforts concertés seront nécessaires pour garantir une cohésion dans les objectifs européens et pour s’assurer que l’Europe parvienne à unir ses forces face aux défis mondiaux de l’exploration spatiale.
L’idée d’un « Artemis européen » peut sembler surprenante, voire ardue à réaliser, mais l’Europe dispose en réalité de nombreux atouts qui faciliteraient la mise en œuvre d’un tel projet. Toutefois, pour une analyse objective, il est important de reconnaître que plusieurs aspects pourraient poser des défis significatifs ou nécessiter des financements que l’ESA pourrait avoir du mal à mobiliser.
Transport spatial
En matière de vols habitésvols habités, Ariane 6 pourrait être adaptée pour soutenir un programme européen d’exploration habité. Les études montrent qu’il serait possible d’apporter ces adaptations dans des délais relativement courts et à un coût raisonnable. Actuellement, il n’existe pas de barrière technologique majeure empêchant le développement d’un véhicule habité, et l’Europe maîtrise les technologies nécessaires, ce qui constitue un atout considérable.
Pour le transport de fret, le rôle du secteur privé sera essentiel. Avec son programme LCRS, l’ESA a sélectionné Thales Alenia Space et The Exploration Company pour développer des cargos spatiaux réutilisables destinés à l’orbite basse. Bien que conçues pour le fret, ces capsules seront dimensionnées pour évoluer vers du transport d’astronautesastronautes si nécessaire.
En favorisant des partenariats public-privé, il serait possible de stimuler l’émergenceémergence d’un écosystèmeécosystème d’innovation. Cela permettrait à l’ESA de bénéficier de nouvelles technologies tout en accédant à des solutions de transport efficaces à moindre coût. Cette approche pourrait contribuer à réduire le fardeau financier de l’ESA en transférant une partie de ses besoins en matière de transport de fret vers le secteur commercial.
Des entreprises privées, telles que The Exploration Company et PLD Space, démontrent déjà leur engagement en développant une gamme de services orbitaux. Ces initiatives pourraient compléter la solution Ariane 6Ariane 6 en apportant des solutions innovantes et en contribuant à l’ensemble de l’écosystème spatial européen.
Cependant, pour atteindre une autonomie parfaite, il sera nécessaire de développer un étage trans-lunaire et d’améliorer significativement les performances d’Ariane 6, ou bien de concevoir un nouveau lanceurlanceur lourd. Actuellement, Ariane 6 est limitée à un envoi de seulement 9 tonnes pour des missions trans-lunaires, alors que les besoins s’élèvent à au moins 40 tonnes pour un atterrissage sur la Lune. Cela constitue un élément fondamental pour la logistique des missions lunaires. La mise en place de cette infrastructure nécessitera un effort de financement significatif, compte tenu des technologies nécessaires pour la constructionconstruction et l’exploitation d’un tel système.
La nécessité de partenariats public-privé
Pour convaincre les investisseurs et les partenaires privés de soutenir un projet aussi ambitieux, l’ESA devrait démontrer des perspectives de rentabilité et de viabilité à long terme. Cela pourrait inclure une analyse des opportunités commerciales potentielles, telles que le transport de fret vers la Lune, le soutien à des missions commerciales.
Dans ce contexte, un partenariat public-privé (PPPPPP) pourrait se révéler être la solution idéale. L’ESA pourrait s’engager à prendre à sa charge le risque financier en échange de garanties d’achat de services sur une période prolongée, par exemple, une décennie. Une telle approche permettrait de réduire l’incertitude pour les investisseurs privés, leur offrant une visibilité et un retour potentiel sur leur investissement. Et donc de les inciter à investir dans des technologies innovantes.
Ce modèle de PPP pourrait également contribuer à créer un écosystème dynamique où l’innovation est valorisée, favorisant ainsi le développement de solutions efficaces et économiques pour les missions lunaires.
En résumé, l’utilisation d’Ariane 6 pour des vols habités, couplée à l’engagement du secteur privé, pourrait créer un cadre robuste pour le développement d’un programme de transport spatial ambitieux en Europe, en orbite basse pour commencer.
Séjourner et travailler sur la Lune
En ce qui concerne la présence européenne sur la Lune, vivre et travailler sur notre satellite naturel pourrait s’avérer réalisable sans nécessiter un effort technologique aussi important qu’on pourrait le penser, à l’exception de la réalisation d’un système de support vie autonome qui devra être capable de fournir de l’oxygèneoxygène, de gérer le dioxyde de carbonedioxyde de carbone, de recycler l’eau, de maintenir une température confortable et de gérer la pression atmosphériquepression atmosphérique.
Le projet Italien de Thales Alenia Space (leader mondial des modules pressurisés), conçoit avec l’Agence spatiale italienne un module lunaire pressurisé et polyvalent qui pourrait servir de poste avancé, voire constituer un embryonembryon de base lunaire. Ce module d’habitat lunaire (MPH pour Multi-Purpose Habitat) vise à fournir aux astronautes un habitat sécurisé, confortable et multifonctionnel, aussi bien pour des séjours de courte ou moyenne duréedurée, et capable de s’interfacer avec les systèmes du programme Artemis de la Nasa, tels que d’autres modules ou des roversrovers par exemple. L’un des principaux défis de ce module reste son déploiement sur la Lune et la manière d’amener des astronautes européens à sa porteporte ! Cette question dépasse le simple aspect technique, elle revêt également une dimension stratégique majeure. Elle interroge la vision à long terme de l’Europe en matière d’exploration spatiale. Cette question sera abordée en fin d’article.
Se déplacer sur la Lune
En ce qui concerne les déplacements sur la surface de la Lune, l’Europe pourrait s’associer avec le Japon qui développe un rover pressurisé pour la Nasa. De plus, d’autres rovers, tels que le rover Flex, développé en partenariat par Venturi Space, basé à Monaco, et Venturi Astrolab, Inc. (Astrolab), pourraient également être intégrés dans le cadre d’un programme Artemis-européen. Ces véhicules viendraient enrichir l’éventail des solutions de mobilité autour du Module Habitable Pressurisé (MHP) et assurer une exploration plus efficace et polyvalente de la surface lunaire.
Les astronautes en mission sur la Lune, qu’ils se trouvent à l’intérieur du Module Habitable Pressurisé (MHP), en activité à l’extérieur ou à bord d’un des rovers, bénéficieront grandement de l’infrastructure prévue par le programme Moonlight. Ce programme, qui prévoit le déploiement d’une constellationconstellation de satellites lunaires par Telespazio et Thales Alenia Space, est essentiel pour garantir une communication et une navigation efficaces sur la surface lunaire. Cette infrastructure permettra non seulement de coordonner les missions de manière fluide, mais également de soutenir les opérations scientifiques et de recherche, améliorant ainsi considérablement l’efficacité opérationnelle des astronautes et des équipes sur Terre.
La logistique assurée par Argonaut
Concernant la logistique des missions lunaires, l’Europe pourra compter sur le programme Argonaut. Cet atterrisseur lourd pourrait jouer un rôle déterminant, notamment par sa capacité à transporter des rovers et équipements nécessaires à l’établissement d’une base. En effet, cet atterrisseur autonome et polyvalent est capable de transporter une charge utile significative d’environ 1,7 tonne. Il sera conçu pour effectuer une grande variété de missions logistiques et pourra transporter des consommables pour les astronautes (eau, nourriture), du fret, des instruments scientifiques et même un rover. De plus, Argonaut jouera un rôle crucial dans l’établissement d’une station lunairestation lunaire en étant capable de produire et de distribuer de l’énergieénergie, mais seulement pour une courte période. Certes, cela sera suffisant pour les premières missions, mais si l’ESA souhaite réaliser des missions de longue durée, voire envisager une installation durable sur la Lune, il sera essentiel d’installer une centrale de production d’énergie fiable et durable. Deux principales options se dessinent : l’utilisation de panneaux solaires, combinés avec des systèmes de stockage sur batteries, ou le recours à une source d’énergie nucléaire.
Utilisation des ressources lunaires
À plus long terme, pour assurer la durabilité et l’autonomie des missions lunaires, l’exploitation des ressources lunaires (Isru) sera essentielle. La possibilité d’utiliser le régolitherégolithe pour la construction d’infrastructures et de glace d’eau pour la production d’eau potable et d’oxygène pourrait réduire les coûts logistiques considérables liés aux approvisionnements depuis la Terre.
Favoriser l’émergence d’une industrie spatiale forte
Pour inciter des industriels européens, quel que soit leur secteur d’activité, l’ESA pourrait s’appuyer son programme Artemis pour les inciter à embarquer dans cette formidable aventure. L’ESA et la Commission européenne ont un rôle important à jouer en incitant des industriels non liés au secteur spatial à investir dans l’espace, en développant des besoins spécifiques. Cela pourrait contribuer à la croissance d’une « économie spatiale » européenne, où divers secteurs peuvent tirer profit des avancées spatiales et participer à la création de nouveaux marchés sur le continent.
En effet, de nombreux programmes liés à cet Artemis européen pourraient offrir des débouchés industriels significatifs sur Terre, notamment ceux qui concernent l’habitabilité lunaire. Les technologies développées pour les habitats lunaires, telles que les systèmes de recyclagerecyclage de l’eau, la production d’oxygène à partir de ressources lunaires et l’isolation thermiqueisolation thermique, peuvent être adaptées pour répondre à des besoins sur notre Planète, en particulier dans des environnements extrêmes, comme les régions arctiquesarctiques ou désertiques.
“L’ESA et la Commission européenne ont un rôle important à jouer en incitant des industriels non liés au secteur spatial à investir dans l’espace, en développant des besoins spécifiques”
L’applicationapplication de ces innovations pourrait contribuer à concevoir des solutions viables pour les zones déjà touchées par le changement climatiquechangement climatique, où les conditions de vie deviennent de plus en plus difficiles. En développant des technologies durables pour l’habitabilité lunaire, l’Europe se prépare à faire face à des crises futures sur Terre, qu’elles soient environnementales ou économiques. Cela renforce non seulement les capacités d’exploration spatiale, mais ouvre également des perspectives prometteuses pour le développement industriel et l’innovation sur notre planète.
Parallèlement, la gestion des déchetsdéchets représente un autre axe de recherche prometteur. Les contraintes de ressources et de gestion au sein des habitats lunaires favorisent une approche d’économie circulaireéconomie circulaire, où le recyclage et la réutilisation sont essentiels. Les pratiques développées pour les missions lunaires pourraient également être mises en œuvre sur Terre, permettant une gestion plus efficace des déchets dans les villes et les industries.
En outre, les secteurs industriels tels que l’agricultureagriculture, la pharmacie et les technologies de l’information pourraient trouver des opportunités dans le développement d’applications spatiales. Les collaborations avec des industries en dehors du secteur spatial peuvent également diversifier les sources de financement et d’expertise, amplifiant ainsi les résultats et maximisant les retombées technologiques.
Le cas de l’atterrisseur lunaire
Cet « Artemis européen », brièvement évoqué dans cet article, reste incomplet car il omet un aspect crucial : le système d’atterrissage sur la Lune et le décollage depuis sa surface. C’est à ce niveau que se posent certains des défis les plus considérables. Plusieurs architectures de mission coexistent, allant des modèles inspirés d’ApolloApollo jusqu’à des concepts plus avancés comme ceux proposés par la Nasa, qui incluent le GatewayGateway et des atterrisseurs lunaires spécifiquement conçus pour le retour en orbite lunaire.
Dans ce contexte, il est évident que le financement d’un tel système représente un enjeu complexe pour l’ESA et la Commission européenne. La recherche de partenariats internationaux s’avère donc indispensable pour surmonter ces défis.
Le choix entre le développement de capacités autonomes et le recours aux atterrisseurs humains de SpaceXSpaceX ou de Blue Origin soulève des enjeux stratégiques significatifs. Bien que faire appel à ces fournisseurs privés puisse sembler une solution plus rapide et économiquement avantageuse à court terme, cela pourrait également compromettre l’autonomie de l’Europe dans l’espace. Cette décision aura des répercussions sur la position de l’Europe par rapport à d’autres puissances spatiales et sur sa capacité à mener des missions lunaires à long terme.
À l’aube d’une nouvelle ère ?
En conclusion, comme le souligne Pierre Brisson, fondateur et président de la Mars Society Switzerland et spécialiste de l’exploration, bien que l’idée d’un programme Artemis européen soit séduisante, « sans une volonté politique forte, je pense qu’on ne peut pas espérer plus que quelques missions habitées auxquelles participerait l’ESA. L’établissement « lourd » de l’Europe sur la Lune reste encore un rêve ».
Cela dit, l’Agence spatiale européenne pourrait être à l’aubeaube d’une nouvelle ère. Dans les mois à venir, des décisions significatives pourraient être prises en collaboration avec la Commission Européenne, ce qui pourrait entraîner des innovations majeures et l’émergence d’un leadership européen dans plusieurs domaines.
Nous vous expliquerons tout cela dans un prochain article.
Auteur : Rémy Decourt, Journaliste
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